La formation professionnelle dans le secteur public français présente des particularités juridiques qui la distinguent nettement du secteur privé. Entre obligations légales, droits des agents et enjeux de modernisation de l’administration, ce domaine constitue un véritable défi pour les gestionnaires des ressources humaines et les juristes spécialisés. Explorons ensemble les subtilités de ce cadre réglementaire complexe mais essentiel pour le développement des compétences au sein de la fonction publique.
Le cadre légal de la formation dans le secteur public
Le droit à la formation des agents publics est inscrit dans le statut général de la fonction publique. La loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, modifiée par la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, pose les principes fondamentaux. L’article 22 stipule que « le droit à la formation professionnelle tout au long de la vie est reconnu aux fonctionnaires ». Ce droit se décline en plusieurs dispositifs spécifiques au secteur public.
Le décret n°2007-1470 du 15 octobre 2007 relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie des fonctionnaires de l’État précise les modalités d’application de ce droit. Il distingue notamment les formations statutaires obligatoires des formations continues choisies par l’agent ou proposées par l’administration. Selon les chiffres du ministère de la Fonction publique, en 2020, 48% des agents de l’État ont suivi au moins une formation, pour une durée moyenne de 3,2 jours.
Les spécificités des dispositifs de formation
Le secteur public dispose de dispositifs de formation qui lui sont propres. Le compte personnel de formation (CPF), introduit par l’ordonnance n°2017-53 du 19 janvier 2017, remplace le droit individuel à la formation (DIF) dans la fonction publique. Il permet à chaque agent d’acquérir des droits à la formation, à hauteur de 25 heures par an, dans la limite d’un plafond de 150 heures. Une particularité notable : dans le public, ces heures ne sont pas monétisées, contrairement au secteur privé.
La période de professionnalisation, définie à l’article 15 du décret de 2007, est un autre dispositif spécifique. D’une durée maximale de 6 mois, elle permet à un agent de se former en alternance pour accéder à un nouvel emploi. Comme l’a souligné Maître Dupont, avocat spécialisé en droit de la fonction publique : « La période de professionnalisation est un outil puissant de mobilité interne, malheureusement sous-utilisé par les administrations. »
Les obligations de l’employeur public en matière de formation
L’employeur public a des obligations légales en matière de formation, qui diffèrent de celles du secteur privé. Il doit notamment établir un plan de formation annuel ou pluriannuel, qui recense les actions de formation prévues pour les agents. Ce plan doit être soumis pour avis au comité social d’administration (CSA), instance qui remplace depuis 2023 le comité technique et le CHSCT.
L’administration a également l’obligation d’organiser un entretien de formation avec chaque agent, distinct de l’entretien professionnel annuel. Cet entretien, prévu par l’article 5 du décret de 2007, vise à déterminer les besoins en formation de l’agent au vu des objectifs qui lui sont fixés. Selon une étude de la DGAFP, seuls 60% des agents déclarent avoir bénéficié de cet entretien en 2021, ce qui montre une marge de progression dans l’application de cette obligation.
Le financement de la formation dans le secteur public
Le financement de la formation professionnelle dans le secteur public obéit à des règles spécifiques. Contrairement aux entreprises privées, les administrations ne sont pas soumises à une obligation légale de financement basée sur un pourcentage de la masse salariale. Chaque ministère, collectivité ou établissement public définit son budget formation en fonction de ses orientations stratégiques et de ses contraintes budgétaires.
Néanmoins, l’État consacre des sommes importantes à la formation de ses agents. En 2020, selon le rapport annuel sur l’état de la fonction publique, les dépenses de formation s’élevaient à 2,6 milliards d’euros pour l’ensemble de la fonction publique d’État, soit environ 3,5% de la masse salariale. Ces chiffres varient considérablement selon les ministères et les types de formation.
Les enjeux juridiques liés à la digitalisation de la formation
La digitalisation de la formation dans le secteur public soulève de nouveaux enjeux juridiques. Le développement du e-learning et des MOOC (Massive Open Online Courses) pose la question de la reconnaissance de ces formations dans les parcours professionnels des agents. Le décret n°2017-928 du 6 mai 2017 relatif à la mise en œuvre du compte personnel d’activité dans la fonction publique a ouvert la voie à la prise en compte de ces nouvelles modalités de formation.
La protection des données personnelles des agents dans le cadre de ces formations en ligne est également un point d’attention majeur. Comme le souligne Maître Martin, experte en droit du numérique : « Les administrations doivent veiller à ce que les plateformes de e-learning qu’elles utilisent soient conformes au RGPD, notamment en termes de conservation et de traitement des données des apprenants. »
Le contentieux lié à la formation dans la fonction publique
Le contentieux relatif à la formation dans la fonction publique peut porter sur divers aspects. Les refus de formation par l’administration peuvent être contestés devant le tribunal administratif. La jurisprudence a établi que le refus doit être motivé et ne peut être systématique. Dans un arrêt du 14 juin 2019, le Conseil d’État a rappelé que « le droit à la formation ne saurait être regardé comme un droit absolu et que l’administration peut refuser une demande de formation pour des motifs tirés de l’intérêt du service ou de contraintes budgétaires ».
Les litiges peuvent également concerner la reconnaissance des formations suivies dans le cadre de l’évolution de carrière. Le juge administratif veille à ce que les formations statutaires obligatoires soient effectivement dispensées et que leur non-suivi ne pénalise pas indûment l’agent. Ainsi, dans un arrêt du 22 mai 2020, la Cour administrative d’appel de Nantes a annulé un refus de promotion au motif que l’administration n’avait pas mis l’agent en mesure de suivre la formation obligatoire requise.
Les perspectives d’évolution du cadre juridique
Le cadre juridique de la formation professionnelle dans le secteur public est appelé à évoluer pour s’adapter aux mutations du travail et aux enjeux de modernisation de l’administration. La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 a déjà introduit des changements significatifs, notamment en renforçant les outils de formation dans le cadre de la mobilité et de la transition professionnelle.
Des réflexions sont en cours pour faire évoluer le compte personnel de formation dans la fonction publique, possiblement vers une monétisation similaire à celle du secteur privé. Selon un rapport parlementaire de 2022, cette évolution permettrait « une meilleure lisibilité et une plus grande souplesse dans l’utilisation des droits à la formation ».
La formation professionnelle dans le secteur public français s’inscrit dans un cadre juridique complexe, marqué par des spécificités propres à la fonction publique. Entre droit à la formation, obligations des employeurs publics et adaptation aux nouvelles modalités d’apprentissage, ce domaine est en constante évolution. Les gestionnaires RH et les juristes doivent rester vigilants face à ces changements pour garantir le respect des droits des agents tout en répondant aux besoins de compétences de l’administration. La formation demeure un levier stratégique pour l’adaptation et la performance du service public, dans un contexte de transformation numérique et de recherche d’efficience.