La transition énergétique représente un défi majeur pour les collectivités territoriales françaises. Face aux exigences réglementaires croissantes et aux enjeux climatiques, les communes se tournent vers des solutions collaboratives pour optimiser leurs ressources. L’audit énergétique, devenu incontournable dans la gestion du patrimoine public, trouve dans l’échelon intercommunal un cadre pertinent pour déployer son efficacité. Cette approche mutualisée offre des perspectives prometteuses tant sur le plan technique que juridique. Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) disposent désormais d’outils juridiques sophistiqués pour coordonner ces démarches collectives, transformant une obligation réglementaire en véritable levier de développement territorial.
Fondements Juridiques de la Mutualisation Énergétique Intercommunale
Le cadre légal français a considérablement évolué pour faciliter et encourager la mutualisation des compétences énergétiques entre communes. La loi NOTRe de 2015 a renforcé le rôle des intercommunalités dans la coordination des politiques publiques locales, tandis que la loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte a imposé de nouvelles obligations en matière d’efficacité énergétique. Ces deux textes fondateurs ont posé les bases d’une coopération intercommunale renforcée.
Le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) offre plusieurs mécanismes juridiques permettant cette mutualisation. L’article L.5211-4-2 autorise la création de services communs entre un EPCI et ses communes membres pour l’exercice de missions fonctionnelles ou opérationnelles. Cette disposition constitue le socle juridique principal pour la mise en place d’un service mutualisé d’audit énergétique.
En parallèle, le Code de l’Énergie, notamment depuis les modifications apportées par le décret n°2019-771 du 23 juillet 2019 (dit « décret tertiaire »), impose des obligations de performance énergétique aux bâtiments à usage tertiaire, incluant le patrimoine des collectivités. Ce contexte réglementaire contraignant incite fortement les communes à rechercher des solutions mutualisées pour respecter leurs obligations légales.
La jurisprudence administrative a progressivement reconnu la légitimité des structures intercommunales à intervenir dans le domaine énergétique, même en l’absence de transfert formel de compétence. L’arrêt du Conseil d’État du 28 juillet 2015 (n°375861) a confirmé la possibilité pour un EPCI de coordonner des actions en matière énergétique au titre de ses compétences en matière d’aménagement du territoire.
Formes juridiques de la mutualisation
Plusieurs formes juridiques s’offrent aux collectivités souhaitant mutualiser leurs audits énergétiques :
- Le groupement de commandes (article L.2113-6 du Code de la commande publique) permettant de lancer un marché unique d’audit pour plusieurs communes
- La convention de prestation de services (article L.5214-16-1 du CGCT) autorisant un EPCI à réaliser des prestations pour le compte de ses communes membres
- La création d’un service commun dédié aux questions énergétiques (article L.5211-4-2 du CGCT)
- La constitution d’une entente intercommunale (article L.5221-1 du CGCT) pour les actions dépassant le périmètre d’un seul EPCI
Le choix entre ces différents instruments juridiques dépend du degré d’intégration souhaité et des objectifs poursuivis par les collectivités. La jurisprudence Commune de Veyrier-du-Lac (CE, 3 février 2012) a d’ailleurs précisé les contours de ces mécanismes en distinguant la mutualisation des moyens du transfert de compétences, facilitant ainsi leur mise en œuvre.
Méthodologie Opérationnelle des Audits Énergétiques Mutualisés
La réalisation d’audits énergétiques à l’échelle intercommunale nécessite une méthodologie structurée pour garantir l’efficacité de la démarche. Cette approche systémique commence par un diagnostic territorial permettant d’identifier les spécificités du parc immobilier public concerné. La norme NF EN 16247, qui définit les exigences techniques des audits énergétiques, constitue un référentiel incontournable pour cette phase préliminaire.
L’élaboration d’un cahier des charges commun représente une étape déterminante. Ce document doit préciser le périmètre d’intervention, les objectifs poursuivis, les livrables attendus et les critères d’évaluation. La Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) recommande d’y intégrer des clauses relatives à la propriété des données collectées et aux modalités de leur partage entre communes membres.
La sélection du prestataire chargé de réaliser les audits s’effectue selon les règles de la commande publique. L’article L.2113-6 du Code de la commande publique permet de constituer un groupement de commandes coordonné généralement par l’EPCI. Cette procédure mutualisée génère des économies d’échelle significatives et garantit une cohérence méthodologique sur l’ensemble du territoire intercommunal.
Phasage opérationnel standardisé
Un audit énergétique mutualisé efficace respecte généralement le phasage suivant :
- Phase 1 : Collecte des données patrimoniales et énergétiques de chaque commune
- Phase 2 : Analyse technique des bâtiments (enveloppe, systèmes, usages)
- Phase 3 : Modélisation thermique et identification des gisements d’économies
- Phase 4 : Élaboration de scénarios d’amélioration hiérarchisés
- Phase 5 : Synthèse intercommunale et stratégie territoriale
La Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies (FNCCR) préconise l’utilisation d’outils numériques partagés pour faciliter la collecte et l’analyse des données. Des plateformes comme OPERAT, développée par l’ADEME pour suivre les consommations énergétiques des bâtiments tertiaires, peuvent être déployées à l’échelle intercommunale pour centraliser les informations.
La jurisprudence administrative a confirmé la validité juridique de cette approche mutualisée, notamment dans l’arrêt du Tribunal Administratif de Lyon du 12 janvier 2018, qui reconnaît la légitimité des EPCI à coordonner des démarches d’audit énergétique, même lorsque la compétence « énergie » n’a pas été formellement transférée.
Les audits énergétiques mutualisés doivent respecter les exigences techniques définies par l’arrêté du 24 novembre 2020 relatif aux modalités de réalisation des audits énergétiques. Ce texte impose notamment l’utilisation de méthodes de calcul normalisées et le recours à des professionnels qualifiés, garantissant ainsi la fiabilité des résultats obtenus à l’échelle intercommunale.
Financement et Modèles Économiques de la Mutualisation
La dimension financière constitue un aspect fondamental de la mutualisation des audits énergétiques. Le Code Général des Collectivités Territoriales prévoit plusieurs mécanismes de répartition des charges entre communes et EPCI. L’article L.5211-4-2 précise que les effets financiers de la mise en commun des moyens sont réglés par convention après établissement d’une fiche d’impact décrivant les implications sur l’organisation et les conditions de travail.
Les clés de répartition financière peuvent varier selon les territoires, mais s’appuient généralement sur des critères objectifs tels que la population, le nombre de bâtiments concernés ou la surface du patrimoine bâti. La Commission Locale d’Évaluation des Charges Transférées (CLECT) peut être sollicitée pour déterminer une répartition équitable des coûts entre communes membres.
Des subventions publiques viennent souvent compléter le financement de ces démarches mutualisées. Le Fonds Chaleur de l’ADEME, les aides régionales dans le cadre des Contrats de Plan État-Région (CPER), ou encore les financements européens via le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER) constituent des leviers financiers significatifs.
Modèles économiques innovants
Au-delà des modes de financement traditionnels, des modèles économiques innovants émergent pour faciliter la mutualisation :
- Le Contrat de Performance Énergétique (CPE) territorial, permettant de financer les audits par les économies futures
- Les Sociétés Publiques Locales (SPL) dédiées à l’énergie, pouvant porter les investissements pour le compte des communes
- Les Intracting, mécanisme d’avance remboursable interne à l’intercommunalité
- Les Certificats d’Économie d’Énergie (CEE) mutualisés à l’échelle intercommunale
La Cour des Comptes, dans son rapport thématique de 2021 sur la transition énergétique, a souligné l’intérêt financier de ces approches mutualisées. Elle évalue entre 15% et 30% les économies réalisées grâce à la mutualisation des audits énergétiques, par rapport à des démarches isolées.
Du point de vue comptable, la nomenclature M57, généralisée progressivement à l’ensemble des collectivités, facilite le suivi financier de ces opérations mutualisées. Elle permet notamment d’identifier précisément les flux financiers liés aux prestations réalisées entre communes et EPCI.
La jurisprudence fiscale a clarifié le régime de TVA applicable à ces prestations mutualisées. L’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Nantes du 5 mars 2020 a confirmé que les prestations réalisées par un EPCI pour ses communes membres dans le cadre d’une convention de mutualisation sont placées hors champ de la TVA, simplifiant ainsi la gestion financière de ces opérations.
L’analyse coûts-bénéfices démontre généralement la pertinence économique de la mutualisation. Une étude menée par l’Association des Communautés de France (AdCF) en 2022 révèle que le retour sur investissement d’un audit énergétique mutualisé est atteint en moyenne 30% plus rapidement qu’un audit réalisé isolément par une commune.
Gouvernance Juridique et Pilotage des Dispositifs Mutualisés
La gouvernance des dispositifs d’audit énergétique mutualisés constitue un enjeu juridique majeur pour garantir leur efficacité et leur pérennité. Le Code Général des Collectivités Territoriales offre plusieurs outils pour structurer cette gouvernance partagée. L’article L.5211-39-1 prévoit l’élaboration d’un schéma de mutualisation des services à mettre en œuvre pendant la durée du mandat, document stratégique qui peut intégrer un volet spécifique sur la mutualisation énergétique.
La création d’un comité de pilotage intercommunal dédié aux questions énergétiques permet d’associer l’ensemble des communes concernées aux décisions stratégiques. Ce comité, sans personnalité juridique propre, constitue une instance de concertation et de coordination dont la composition et le fonctionnement sont généralement précisés dans une convention spécifique.
Les conventions de mutualisation représentent l’outil juridique central de cette gouvernance partagée. Elles doivent définir précisément :
- Les objectifs poursuivis par la mutualisation
- Le périmètre des bâtiments concernés
- Les moyens humains, techniques et financiers mobilisés
- Les responsabilités respectives des communes et de l’EPCI
- Les modalités de suivi et d’évaluation du dispositif
Enjeux de responsabilité juridique
La question de la responsabilité juridique dans le cadre des audits mutualisés mérite une attention particulière. La jurisprudence administrative distingue la responsabilité liée à la coordination du dispositif, qui incombe généralement à l’EPCI, de la responsabilité liée aux décisions prises sur la base des audits, qui reste du ressort de chaque commune propriétaire de son patrimoine.
L’arrêt du Conseil d’État du 4 mai 2018 (n°417752) a précisé les contours de cette répartition des responsabilités en matière de mutualisation de services, en soulignant l’importance d’une définition claire des missions dans les conventions.
La protection des données collectées lors des audits constitue un autre aspect juridique sensible. Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) s’applique aux informations recueillies, notamment lorsqu’elles concernent les usages énergétiques des occupants des bâtiments. Les conventions de mutualisation doivent donc intégrer un volet spécifique sur le traitement et le partage de ces données.
La gouvernance juridique doit prévoir des mécanismes d’arbitrage en cas de désaccord entre communes membres. Le tribunal administratif territorialement compétent constitue l’ultime recours, mais des dispositifs de médiation préalable peuvent être utilement prévus dans les conventions.
Le rapport annuel sur la mutualisation, prévu par l’article L.5211-39-1 du CGCT, permet d’assurer un suivi régulier du dispositif et d’apporter les ajustements nécessaires. Ce document, présenté à l’assemblée délibérante de l’EPCI, constitue un outil précieux de pilotage et d’évaluation de l’efficacité juridique du dispositif mutualisé.
Perspectives d’Innovation Juridique et Territoriale
L’évolution constante du cadre juridique français et européen ouvre de nouvelles perspectives pour la mutualisation des audits énergétiques. La directive européenne 2018/844 relative à la performance énergétique des bâtiments, transposée en droit français, renforce les exigences en matière d’efficacité énergétique et encourage implicitement les approches collaboratives.
Le développement des Communautés Énergétiques Locales (CEL), consacrées par la directive européenne 2019/944 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, offre un cadre juridique novateur pour dépasser la simple mutualisation des audits et envisager une gestion énergétique territoriale intégrée.
Les Pôles d’Équilibre Territoriaux et Ruraux (PETR), créés par la loi MAPTAM de 2014, constituent une échelle territoriale pertinente pour mutualiser les audits énergétiques au-delà du périmètre d’un seul EPCI. L’article L.5741-2 du CGCT leur permet de porter des projets de territoire incluant un volet énergétique ambitieux.
Innovations juridiques émergentes
Plusieurs innovations juridiques méritent d’être explorées pour renforcer l’efficacité des dispositifs mutualisés :
- Les contrats de réciprocité ville-campagne, permettant une mutualisation entre territoires urbains et ruraux
- Les Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif (SCIC) associant collectivités, entreprises et citoyens dans la gouvernance énergétique
- Les Groupements d’Intérêt Public (GIP) dédiés à la transition énergétique territoriale
- Les Opérations de Revitalisation de Territoire (ORT) intégrant un volet énergétique mutualisé
La jurisprudence constitutionnelle a progressivement reconnu la valeur juridique des objectifs de transition énergétique. La décision du Conseil Constitutionnel n°2019-794 DC du 20 décembre 2019 a confirmé que la lutte contre le changement climatique constitue un objectif à valeur constitutionnelle, renforçant ainsi la légitimité des dispositifs mutualisés visant l’efficacité énergétique.
Les contrats de transition écologique (CTE), transformés en contrats de relance et de transition écologique (CRTE) depuis 2021, offrent un cadre contractuel propice à la mutualisation énergétique. Ces contrats, conclus entre l’État et les collectivités, peuvent intégrer un volet spécifique sur les audits énergétiques mutualisés et leur financement.
L’émergence de monnaies locales complémentaires, dont la légalité a été confirmée par l’article L.311-5 du Code monétaire et financier, ouvre des perspectives intéressantes pour valoriser les économies d’énergie réalisées grâce aux audits mutualisés et financer de nouvelles actions de transition énergétique.
Le développement de contrats à impact social appliqués à la performance énergétique représente une innovation financière prometteuse. Ces contrats, encadrés par la circulaire du Premier ministre du 25 janvier 2018, permettent de mobiliser des fonds privés pour financer des projets d’intérêt général, avec un remboursement conditionné à l’atteinte d’objectifs mesurables, comme la réduction des consommations énergétiques.
La dématérialisation des procédures d’audit énergétique, facilitée par l’ordonnance n°2016-1330 du 6 octobre 2016 relative à la dématérialisation des relations entre l’administration et les usagers, simplifie considérablement la collecte et le partage des données entre communes membres d’un dispositif mutualisé.
Vers une Stratégie Énergétique Territoriale Intégrée
La mutualisation des audits énergétiques s’inscrit dans une dynamique plus large de construction d’une véritable stratégie énergétique territoriale. Cette vision systémique permet de dépasser l’approche sectorielle pour embrasser l’ensemble des enjeux énergétiques locaux. Le Plan Climat-Air-Énergie Territorial (PCAET), rendu obligatoire pour les intercommunalités de plus de 20 000 habitants par la loi de Transition Énergétique, constitue le cadre stratégique idéal pour intégrer les résultats des audits mutualisés.
L’articulation avec les autres documents de planification territoriale revêt une importance stratégique. Le Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT) et le Plan Local d’Urbanisme intercommunal (PLUi) doivent prendre en compte les enjeux énergétiques identifiés par les audits mutualisés, conformément aux articles L.141-4 et L.151-5 du Code de l’urbanisme.
La doctrine administrative encourage cette approche intégrée. La circulaire du 8 novembre 2021 relative à la mise en œuvre des CRTE recommande explicitement d’articuler les différentes démarches de planification énergétique à l’échelle des territoires, en s’appuyant sur des diagnostics partagés.
Création de synergies territoriales
L’analyse des retours d’expérience montre que les audits énergétiques mutualisés génèrent des synergies territoriales significatives :
- Émergence de filières locales d’éco-rénovation répondant aux besoins identifiés
- Développement de formations professionnelles adaptées aux spécificités du bâti local
- Création de plateformes territoriales de rénovation énergétique mutualisées
- Constitution de groupements d’achat d’énergie intercommunaux
La jurisprudence administrative reconnaît la légitimité de ces approches territoriales intégrées. L’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux du 10 juin 2021 a validé l’intervention d’une métropole dans le financement d’une plateforme de rénovation énergétique dépassant son strict champ de compétence, au motif de l’intérêt territorial global.
L’intégration des citoyens dans la gouvernance énergétique territoriale constitue une tendance forte. Le droit à l’information environnementale, consacré par la Convention d’Aarhus et transposé aux articles L.124-1 et suivants du Code de l’environnement, impose un partage transparent des données issues des audits énergétiques avec la population.
Les contrats de transition énergétique entre collectivités et opérateurs privés permettent de prolonger la dynamique initiée par les audits mutualisés. Ces contrats, dont la validité juridique a été confirmée par l’avis du Conseil d’État du 22 mars 2019, facilitent la mise en œuvre opérationnelle des recommandations issues des audits.
La création d’observatoires territoriaux de l’énergie, structures sans personnalité juridique propre mais adossées à l’EPCI, permet de pérenniser la démarche d’audit en instaurant un suivi continu des consommations énergétiques à l’échelle intercommunale.
Les schémas directeurs des énergies, documents stratégiques non obligatoires mais de plus en plus répandus, offrent un cadre pertinent pour planifier les investissements énergétiques prioritaires identifiés lors des audits mutualisés. La Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies (FNCCR) a publié en 2020 un guide méthodologique pour l’élaboration de ces schémas, soulignant leur complémentarité avec les audits énergétiques.
La mutualisation des certificats d’économie d’énergie (CEE), rendue possible par l’article L.221-7 du Code de l’énergie, constitue un prolongement logique des audits énergétiques mutualisés. Elle permet de valoriser financièrement les économies d’énergie réalisées suite aux travaux préconisés par les audits.
En définitive, la transition d’une approche centrée sur l’audit vers une stratégie énergétique territoriale intégrée représente l’aboutissement naturel de la mutualisation intercommunale. Cette évolution transforme une obligation réglementaire en véritable projet de territoire, porteur de développement économique local et de cohésion sociale.
